Au cœur de la Corse sauvage et fière, niché entre maquis touffu et falaises granitiques, se trouve un hameau discret qui mérite qu’on s’y attarde : Canaglia. Perché dans la vallée du Manganellu, au pied du Monte d’Oro et du Monte Rotondo, ce bout du monde est une promesse pour tous ceux qui cherchent plus qu’un itinéraire : une immersion, un souffle, un éveil.
Canaglia, ce n’est pas vraiment un village. Pas de place centrale ni de bistrot où se croisent les anciens. C’est un groupement de maisons de pierres, blotties autour d’un sentier, comme autant de gardiennes d’un passé montagnard. Et c’est justement ce qui en fait sa magie : ici, le silence est souverain et le bruissement des feuilles devient langue maternelle.
Canaglia, une porte entre deux mondes
Lorsque l’on arrive à Canaglia, on a le sentiment très clair de passer une frontière. Celle entre la basse vallée accessible en voiture et la haute montagne où seuls les pas ont droit de cité. À peine garé près du pont de Tolla, le regard est happé par l’immensité boisée qui s’ouvre devant soi. Hêtres, pins laricio et châtaigniers veillent sur des sentiers centenaires, empruntés autrefois par les bergers transhumants, aujourd’hui par les randonneurs en quête d’épure.
Ce n’est donc pas un hasard si Canaglia est un point de départ privilégié pour certains des plus beaux itinéraires de randonnée de la haute Corse. Ici, l’aventure prend des airs de retraite initiatique, et chaque foulée sur la mousse ou entre les rochers semble nous reconnecter à quelque chose de plus vaste.
À la rencontre des cascades et des vasques du Manganellu
Avant même de viser les hauts sommets, il faut prendre le temps de flâner le long du ruisseau du Manganellu. Ce cours d’eau cristallin dévale les pentes du Monte Rotondo, croisant la route du mythique GR20. En empruntant le sentier qui remonte la vallée, on découvre une succession de vasques naturelles d’un bleu quasi irréel, entrecoupées de cascades vives et rafraîchissantes. Un paradis pour les amateurs de baignades sauvages ou simplement de contemplation.
L’une de ces vasques, cachée derrière un méandre du sentier, m’a un jour offert un instant suspendu. Le soleil perçait à travers la canopée, dessinant des ombres dansantes sur l’eau. Un berger, surgissant du sentier, s’est approché, m’a salué d’un hochement de tête, puis, sans un mot, s’est immergé dans l’eau glacée. Son geste, simple et ancestral, m’a rappelé que dans ces montagnes, l’Homme est d’abord un invité.
En quête des sommets : Matalza, Petra Piana et le Monte Rotondo
Pour les marcheurs aguerris, Canaglia est une porte d’entrée vers les cieux corses. À partir du hameau, plusieurs sentiers s’élèvent en lacets réguliers vers les refuges emblématiques du GR20 :
- Le refuge de Petra Piana (1842 m), accessible en environ 5-6 heures depuis Canaglia, est un pont suspendu entre ciel et terre. D’ici, le panorama sur les crêtes de la Restonica et la vallée de Vizzavona est tout simplement vertigineux.
- Le refuge de Matalza, plus au sud, peut aussi être relié par une magnifique section hors sentier balisé, empruntée par les bergers. Elle traverse des plateaux où les cochons noirs s’ébattent librement sous les chênes lièges.
- Le Monte Rotondo (2622 m), deuxième plus haut sommet de Corse, se laisse approcher par une boucle exigeante mais somptueuse, souvent à entreprendre sur deux jours. Bivouac sous les étoiles et lever de soleil sur la mer Tyrrhénienne garantis.
Ce réseau de sentiers fait de Canaglia non seulement un point de départ stratégique, mais aussi un lieu d’attache improvisé pour les randonneurs. Ceux qui choisissent de « faire escale » ici s’offrent l’opportunité rare de dormir dans la paix absolue de la montagne corse, bercés par le chant capricieux des choucas ou le craquement discret d’un lézard curieux sur la pierre chaude.
Des rando pour tous les niveaux, et pour toutes les humeurs
Nul besoin d’être un traileur chevronné pour profiter des merveilles autour de Canaglia. Plusieurs balades plus accessibles vous permettront déjà de goûter à l’esprit de la montagne :
- Les vasques du Manganellu sont atteignables en moins d’une heure de marche douce depuis le pont de Tolla.
- Le sentier vers la passerelle de Tighjettu propose une jolie boucle en lisière de forêt, avec vues plongeantes sur la vallée.
- À la mi-saison, les pâturages d’Alzeta, parsemés de bergeries abandonnées, dévoilent des panoramas paisibles et fleuris.
Et puis, n’est-ce pas là aussi une belle manière d’aborder la montagne ? Se laisser mener par ses envies, écouter son corps, et pourquoi pas s’autoriser une sieste sur une pierre plate, le nez dans les herbes odorantes ?
Canaglia et le temps retrouvé
Lorsqu’on revient de rando le soir, les jambes un peu raides mais le cœur dilaté d’images et de souffle, Canaglia nous attend. Avec pudeur. Ici, pas de place à la fioriture touristique. Loin des cafés en terrasse et des boutiques artisanales, c’est le murmure des insectes et le silence des murs de pierre qui accueillent les voyageurs. Un simple gîte, une fontaine d’eau fraîche, et parfois le sourire d’un passant rare mais sincère. C’est tout, et c’est beaucoup.
Je me souviens d’une discussion partagée un soir d’automne, assise sur les marches d’une vieille maison. Un vieil homme, dont les mots sentaient le lent passage du temps, m’avait dit : « Ici, les montagnes ne bougent pas, mais elles te changent. » Il avait raison. Dans ce hameau à peine un souffle, je sentais déjà que quelque chose avait été déplacé en moi.
Peut-être est-ce ça, le luxe ultime du voyage : trouver un lieu où le temps n’est plus une montre mais le battement des sabots d’une brebis sur un caillou, le temps qu’il faut pour faire chauffer l’eau sur un feu de bois, et l’inspiration profonde avant de gravir un autre col.
Conseils pratiques pour randonner depuis Canaglia
- Accès : Canaglia se situe à une quinzaine de kilomètres au nord de Vivario, sur une route départementale sinueuse mais sublime. Un parking rudimentaire est disponible près du pont de Tolla.
- Saison idéale : Mai à octobre. Les mois de juillet et août peuvent être très chauds : partez tôt et évitez la surfréquentation des points d’eau.
- Matériel : Même pour des balades courtes, prévoyez de bonnes chaussures, de l’eau, et une carte IGN. Le réseau téléphonique est souvent inexistant – et c’est tant mieux pour la déconnexion.
- Hébergement : Quelques gîtes et refuges peuvent accueillir les randonneurs à proximité. Le bivouac est toléré en altitude, en respectant les règles de discrétion et de propreté.
- Rencontres : Soyez respectueux des habitants, rares mais présents, et des éleveurs qui pratiquent encore la transhumance. Leur accueil sera à la mesure de votre humilité.
À Canaglia, on ne vient pas chercher un séjour balnéaire, ni un selfie au sommet. On vient pour s’éprouver, se recentrer, et peut-être, par surprise, se retrouver. Car entre deux pas de randonnée, entre deux sapins penchés par le vent, il se pourrait bien qu’on y découvre ce qu’on ne cherchait même plus.