Sur la crête acérée des montagnes corses, là où le ciel tangue au-dessus de l’horizon et où chaque pas semble suspendu entre vertige et émerveillement, s’étire le mythique GR20. Cette traversée de l’île de Beauté est bien plus qu’une randonnée : c’est un rite, presque une initiation. Et pour goûter pleinement à cette aventure, il faut savoir où poser son sac, reposer ses jambes… et peut-être écouter les récits du vent corse. Voici un itinéraire sensible et pratique des refuges emblématiques où dormir sur le GR20, ces havres de bois et de pierre qui racontent chacun une facette de la montagne corse.
La magie du GR20 : un chemin de cailloux et d’âmes
D’abord, une mise en jambe — ou plutôt un pas dans l’âme du sentier. Le GR20, c’est 180 kilomètres, 16 étapes officielles et des dénivelés cumulés qui rivaliseraient avec un roman épique. Depuis Calenzana au nord jusqu’à Conca tout au sud, il fend le cœur montagneux de la Corse, traverse des crêtes minérales, longe des lacs suspendus et plonge dans des vallées secrètes. Loin de tout, mais proche de soi.
Mais pour explorer ce sentier exigeant, chaque halte est précieuse. Le soir venu, après les grésilleuses heures de marche, on s’abandonne sous un toit sommaire, les mollets tremblants et le cœur encore battant des panoramas du jour. C’est dans ces refuges que l’on partage la soupe, les récits et les silences. Grands dormeurs, randonneurs solitaires ou groupes bruyants : chacun y trouve un abri. Puisque l’expérience du GR20 ne se vit pas sans ces haltes essentielles, découvrons-les ensemble, une à une.
Les refuges du GR20 Nord : entre roche brute et ciel effilé
La partie nord du sentier est souvent décrite comme la plus technique, la plus sauvage aussi. C’est là que le randonneur fait corps avec la roche, que l’effort devient presque vertical. Et chaque refuge y est un précieux point de repère, une respiration dans la rudesse du relief.
- Refuge d’Ortu di u Piobbu – Premier refuge après Calenzana, perché à 1520 mètres d’altitude. Une montée d’entrée de jeu, raide mais glorieuse. On y dort face à un paysage immense, avec une vue qui réconcilie tout. Les plus chanceux croiseront peut-être un renard curieux ou un berger égrenant ses souvenirs.
- Refuge de Carrozzu – Construit dans une clairière, près d’un torrent fougueux, il est connu pour son pont suspendu : le fameux « passerelle de Spasimata », qui a fait battre plus d’un cœur. Ambiance à la fois intime et rustique. L’eau y chante la nuit.
- Refuge d’Asco Stagnu (Haut Asco) – Une ancienne station de ski transformée en camp de base. L’étape jusqu’au Monte Cinto, le sommet corse, part d’ici. Le refuge est un peu plus grand, plus “chalet” que les autres. Idéal pour une pause un peu plus douce.
- Refuge de Tighjettu – Un peu à l’écart, dans un chaos de roches sombres, il fait partie de ces refuges qui semblent accrochés au vide. Ici, le silence est compact, presque minéral.
- Refuge de Ciottulu di i Mori – À 1991 mètres, c’est le plus haut des refuges du GR20. Entre ciel et abîme, au pied du Paglia Orba, il offre un lever de soleil comme seuls les dieux corses pourraient l’écrire. Il est souvent balayé par les vents, mais chaque souffle y rappelle la liberté.
L’âme du refuge : plus que dormir, vivre
Dans chaque refuge, il y a un gardien. Et souvent, il est bien plus qu’un hôte : conteur, cuisinier, philosophe parfois. On y mange des plats simples mais chargés d’histoires : soupe corse, figatellu grillé, polenta et fromages locaux… Que dire du pain, cuit à l’aube sur des petites plaques de gaz, parfois dur comme la montagne, mais que l’on bénit tout de même après 10 heures de marche.
On dort en dortoirs souvent exigus, avec les craquements du bois, les ronfleurs (inévitables compagnons de route), et le sac de couchage pour cocon. Et malgré cela – ou grâce à cela – on s’y sent bien. Un peu comme dans une cabane d’enfance. Les refuges sont souvent dotés de tentes supplémentaires (les fameuses “tentes igloos” louables sur place), une excellente option pour ceux qui rêvent d’étoiles plus que de plafonds.
Les refuges du GR20 Sud : maquis, forêt et douces lignes de crête
Après les pics acérés du nord, la partie sud du GR20 semble offrir une certaine tendresse. Les pentes s’arrondissent, les chemins s’enlacent dans le maquis parfumé. Le sentier reste exigeant, mais le paysage s’ouvre davantage. Et les refuges y épousent le relief avec langueur et une lumière que les randonneurs disent plus « présente ».
- Refuge de Vizzavona – Point de bascule entre le nord et le sud. Accessible également par train, idéal pour ceux qui ne font qu’une moitié du GR20. Situé dans une belle forêt de pins et de hêtres, c’est presque un luxe après les écueils minéraux du nord.
- Refuge de Capanelle – En pleine forêt de Vizzavona, près d’une ancienne station de ski. Confort relatif, ambiance sympathique, et fameuse entrecôte à la poignée (selon les dires du cuisinier local).
- Refuge de Prati – Dressé comme un phare sur une écaille de crête. Quand les nuages dansent tout autour, on a l’impression de dormir au-dessus du monde. Les brebis y paissent parfois autour. Un lieu mémorable.
- Refuge d’Usciolu – Petit et souvent rempli (réservation impérative), mais la vue sur les aiguilles et le relief tourmenté vaut bien quelques sacrifices de confort.
- Refuge d’Asinau – Détruit partiellement par un incendie, puis reconstruit. Au pied des Aiguilles de Bavella, ce refuge est une transition d’étapes, un pont vers la beauté sculptée des dernières montagnes.
- Refuge de Paliri – Le dernier, avant l’arrivée à Conca. Il sent déjà la fin, un peu de nostalgie dans l’air. On y dort entouré de pins tordus par les vents et de lumière dorée. Le petit-déjeuner y est un rite pour les plus matinaux.
Réserver ou pas ? Ce qu’il faut savoir
Depuis quelques années, la popularité du GR20 a entraîné une régulation nécessaire. Il est désormais vivement recommandé (pour ne pas dire obligatoire) de réserver son hébergement au préalable sur le site officiel du Parc Naturel Régional de Corse. Chaque refuge possède un nombre limité de places, et nul ne veut finir sa journée de marche en installant son tapis de sol sur une pente caillouteuse sans autorisation.
Mais rassurez-vous : réserver n’enlève en rien à l’aventure. Au contraire, cela vous permet d’aborder chaque journée sereinement, l’esprit libre, prêt à savourer chaque pas, chaque odeur de genévrier brûlé, chaque éclat de granite au soleil.
L’expérience en bivouac : dormir en pleine nature
Si les refuges sont les ports d’attache du GR20, certains choisissent de dormir sous tente, en bivouac réglementé autour des refuges. Il ne s’agit pas de planter sa tente n’importe où : le bivouac sauvage est interdit. Mais chaque refuge dispose de zones dédiées aux randonneurs sous toile. L’avantage ? L’autonomie. Le charme des couchers de soleil en solitaire. Et parfois, le simple besoin d’un peu plus d’espace et de silence.
Le GR20 ne laisse personne indemne. Qu’on l’arpente dans la poussière du matin ou sous les étoiles frémissantes, il transforme. Et les refuges, ces simples échappées de bois ou de pierre, en sont le cœur battant. Ce sont les veilleurs du chemin, les témoins de vos doutes, de vos élans, de vos victoires.
Alors, si vous rêvez de vous laisser porter par l’île de Beauté à travers ses montagnes, sachez que chaque refuge est une promesse : celle d’un toit certes modeste, mais toujours chargé de chaleur humaine. Un pas après l’autre, une nuit après l’autre, le GR20 se vit, se respire et se raconte. À vous d’y écrire votre propre chapitre.