Quand les pas deviennent prière : à la rencontre de la steppe mongole
Il y a des marches qui ne laissent pas seulement des traces dans la poussière, mais dans l’âme. Celles qui vous dépouillent de vos repères pour mieux vous reconnecter à l’essentiel. La Mongolie, ce pays des vastes silences et du ciel infini, offre ce genre d’expérience. Un trek en Mongolie — ce n’est pas qu’un itinéraire, c’est une immersion, une respiration longue et profonde dans un monde où le temps semble suspendu et où chaque pas raconte une histoire.
Je suis partie là-bas avec pour seul véritable cap : l’envie de lenteur, de vent et de regards sincères. Ce que j’y ai trouvé ? Des collines qui murmurent, des yourtes accueillantes et des rencontres d’une humilité bouleversante. Alors je vous y emmène, pas à pas, avec un carnet de voyage taillé à même la steppe.
Marcher dans la palette du vent
Imaginez un matin où le ciel est si vaste qu’il semble pouvoir vous aspirer. Aucun arbre, peu de routes, tout autour : une mer d’herbe ondulante. C’est là, dans les vallées sauvages de la province de l’Arkhangaï ou dans l’immensité du Khangaï, que commencent bien souvent les treks mongols. Pas de vrai « sentier » à suivre : on « lit » le paysage, on suit les troupeaux ou les conseils d’un guide local.
Marcher ici n’est pas un sport, c’est un rythme. Celui du vent qui se lève, du cheval qui vous suit en liberté, ou du silence qui précède l’apparition d’une yourte au lointain. Le temps prend une autre mesure. On peut marcher six heures, dix parfois, sans croiser âme qui vive. Mais jamais on ne se sent seul. La steppe vous accompagne. Elle vous parle, quand vous êtes prêt à l’écouter.
Les yourtes : foyers nomades au cœur de l’infini
En Mongolie, l’hospitalité est une évidence. On entre dans une yourte — ou « ger » — comme on entre dans un sanctuaire vivant. Les bottes laissées à l’entrée, on vous offre du suutei tsai (le fameux thé au lait salé) et des aaruul (des morceaux de fromage séché) sans poser de questions. Parfois, seul un sourire ou un hochement de tête sert de traduction. Et cela suffit amplement.
Lors de mon trek, j’ai passé plusieurs nuits chez des familles nomades entre les vallées du lac Terkhiin Tsagaan et les rives paisibles de l’Orkhon. Le confort y est minimaliste mais chaque détail possède une raison, chaque mouvement une beauté. Le poêle ronronne au centre, les enfants rient sous leurs couvertures de feutre épaisses, et dehors, les chevaux sont attachés, paisibles eux aussi, sur fond de galaxies visibles à l’œil nu.
Quand les chevaux guident nos pas
Il est difficile d’évoquer la Mongolie sans parler des chevaux. Petits, robustes, presque sauvages, ils sont l’âme du peuple mongol. Bien que certaines randonnées se fassent à pied, il est fréquent qu’un ou deux chevaux accompagnent le groupe, portant les vivres ou les sacs. Parfois, les plus chanceux peuvent même monter.
J’ai eu cette chance, justement. Un moment suspendu, cheveux au vent, galop léger sur une plaine sans fin. Une sensation de liberté brute et d’impermanence heureuse. Je me souviens du chuchotement du guide, Ayush : « Ces chevaux grandissent avec le vent. Ils n’appartiennent vraiment à personne. » Comme un souffle, comme une leçon incurvée dans le galop même.
Le trek comme école du silence
Il y a peu d’endroits aujourd’hui où le silence est total, sans pollution sonore, ni bourdonnement urbain. En Mongolie, ce silence est omniprésent. Il n’est pas vide, il est plein. Plein de murmures, d’échos ancestraux, de la respiration même de la terre.
Lors de ma quatrième journée de marche, après un col balayé par des vents d’Est, je me suis arrêtée, immobile. Rien, sinon le silence pur. Pas même une mouche. J’ai compris alors que j’étais différente de la veille. Plus légère. Mes pensées avaient ralenti — peut-être s’étaient-elles même tues.
C’est ce que la Mongolie enseigne. À marcher plus lentement, à respirer plus grand, à penser plus juste.
Vie pratique : ce qu’il faut savoir pour un trek en Mongolie
Si l’expérience paraît mystique (et elle l’est souvent), elle demande tout de même un minimum de préparation. Voici quelques éléments à garder en tête si l’appel de la steppe vous titille :
- Période idéale : entre juin et septembre. Juillet est le mois du Naadam, la fête nationale, une occasion unique d’assister à des courses de chevaux et luttes traditionnelles.
- Niveau physique : adaptable. Certains treks sont accessibles aux marcheurs débutants, mais il faut une bonne endurance, surtout en altitude ou en conditions isolées.
- Accompagnement : privilégiez un guide local. Non seulement pour l’orientation, mais aussi pour accéder à des hébergements chez l’habitant ou pour faire traduire les échanges spontanés avec les nomades.
- Logistique : pas d’épiceries dans la steppe ! L’eau est rare et les ravitaillements ont lieu uniquement par l’intermédiaire de vos hôtes ou du guide. On emporte donc le strict nécessaire mais avec soin.
- Tenue de rando : oubliez les vêtements trop techniques. Il vous faudra surtout des vêtements respirants, un bon coupe-vent, une doudoune légère même en été (les nuits peuvent descendre en dessous de 5°C) et… des chaussettes sèches.
Nuits étoilées et chants gutturaux : instants suspendus
Les soirées mongoles sont d’une simplicité désarmante. Pas d’électricité dans la plupart des camps, pas de distractions artificielles. Les moments les plus précieux arrivent au coin du feu, lorsqu’un grand-père sort sa morin khuur, la viole chevaline, et entame un chant de gorge profond, vibrant.
La première fois que j’ai entendu ce chant guttural, mes poils se sont hérissés. Une vibration primitive, brute, ancrée dans des siècles d’histoire orale. Il ne s’agit pas de paroles à comprendre, mais d’émotion à sentir. Autour, les flammes dansent, les étoiles s’installent, et on se sent infiniment présent. C’est tout simple. C’est grandiose.
Mongolie : territoire de lien
Là où l’on croit s’éloigner du monde, on finit souvent par mieux s’en approcher. C’est ce que la Mongolie m’a murmuré, au détour d’un thé partagé ou d’un sourire échangé sans mots. Le luxe ici, ce n’est pas l’abondance. C’est le lien. À soi, aux autres, à la terre.
Il y a dans chacun de ces treks une poésie nomade, une philosophie de l’impermanence, du mouvement continu et respectueux. On n’impose rien au paysage, on s’y fond. On n’y conquiert rien, on s’y recueille.
Alors si vous sentez l’appel sourd d’un ailleurs plus vaste, où le ciel touche la terre et où le silence vous apprend à mieux écouter, la Mongolie vous attend. Peut-être pas avec un panneau ou une promesse, mais avec un vent discret, prêt à vous montrer le chemin. Il suffit d’oser le premier pas.