Un refuge sur la montagne : Cartalavonu, un gîte posé entre ciel et maquis
Il y a des lieux qui n’ont pas besoin de cris pour se faire entendre. Au cœur du GR20, entre le murmure des pins laricio et les envolées de la roche, le gîte de Cartalavonu est de ceux-là. Discret, sincère, profondément enraciné dans la pierre corse et le silence d’altitude. Il m’a suffi d’une arrivée au crépuscule, les chaussures humides de la journée, le sac allégé de fatigue, pour comprendre que j’étais ici dans un endroit à part.
À près de 1000 mètres d’altitude, blotti sous les pins et faisant face au golfe du Valinco, ce hameau devenu gîte est souvent une étape inattendue pour les randonneurs du GR20. Pourtant, ceux qui s’y arrêtent repartent souvent le cœur un peu plus vaste.
Cartalavonu : entre arrêt salvateur et immersion sauvage
Le GR20, mythique sentier qui serpente l’échine montagneuse de la Corse, est réputé pour sa rudesse autant que sa beauté. Les jambes y trébuchent parfois, mais l’âme y bondit. Le gîte de Cartalavonu se trouve en marge de l’étape qui relie Usciolu à Croci, mais plusieurs variantes et ajustements de parcours le rendent accessible. Beaucoup de randonneurs, épuisés ou désireux de sortir un peu des sentiers battus (au sens propre comme au figuré), s’autorisent une halte ici. Et quelle halte !
Le gîte se compose de plusieurs bâtisses en pierre, posées là comme des témoins muets des saisons. Le confort y est simple, rustique diront certains, mais l’essentiel est au rendez-vous : chaleur humaine, vue à couper le souffle, et… un risotto corse maison dont je me souviens encore.
L’accueil, ce supplément d’âme
À Cartalavonu, on n’est pas dans un refuge impersonnel. On est reçu. Et c’est cela qui fait la différence. Pascale et Jean-Marc, les gardiens du gîte, ont les mains dans la terre et le cœur grand ouvert. Leur accueil est celui d’une Corse profonde, généreuse, un brin taiseuse au premier abord, mais bouillonnante de sincérité dès les premiers échanges.
J’ai partagé le dîner avec un couple de Lyonnais et deux marcheurs solitaires. Nous avons ri, beaucoup, autour d’un civet de sanglier et d’un flan au brocciu. Pascale est venue poser le plat au centre de la table d’un air faussement autoritaire : « Pas de supplément, mais tout le monde finit le plat ». Nous avons obéi, ravis. Ce soir-là, la fatigue de la marche semblait presque douce, adoucie par la chaleur d’une soirée partagée.
Quand le confort rime avec authenticité
Ne vous attendez pas à des chambres d’hôtel 4 étoiles. Ici, les chambres sont simples, parfois en dortoir, parfois individuelles selon disponibilités. Le bois craque, le vent s’invite par la lucarne, et la nuit garde ses mystères. Dormir à Cartalavonu, c’est vivre au rythme de la nature, se réveiller avec la lumière qui filtre à travers les branches de pin, et entendre le corbeau corse (le fameux « ghjaddicu ») saluer le lever du soleil.
Quelques points pratiques pour ceux qui veulent se préparer :
- Le gîte dispose d’eau chaude et de douches, véritable luxe sur le GR20.
- Les repas sont faits maison, avec des produits locaux (mention spéciale pour la coppa légèrement fumée et le fromage de chèvre frais).
- Il est préférable de réserver, surtout en haute saison, par téléphone ou via leur partenaire de réservation.
Un lieu pour ralentir
Ceux qui parcourent le GR20 le savent bien : il y a une sorte de frénésie à vouloir rejoindre l’étape suivante, cocher l’itinéraire, battre son propre chronomètre. Cartalavonu fait l’éloge du contretemps. Ici, on prend le temps. On s’autorise à écouter. À observer ces brumes qui s’accrochent au massif de l’Alcudina. À descendre quelques minutes à pied jusqu’au rocher perché qui domine le lointain golfe et s’y poser, sans raison. Juste pour le silence.
Cela a été mon moment préféré. Assise seule sur cette pierre chauffée par la journée, j’ai laissé la mer me raconter l’histoire éternelle de la montagne. Celle d’une terre qui gronde et respire, et que les pieds impatients des randonneurs foulent à toute allure, sans toujours se rendre compte qu’elle leur chuchote des secrets à chaque pas.
L’esprit du GR20, version Cartalavonu
Ce n’est pas qu’un simple hébergement. C’est toute une vision de la montagne, plus humaine, plus enracinée, plus lente. Cartalavonu, c’est l’antidote parfait à la course folle du GR20. Les kilomètres parcourus y retrouvent du sens. On en profite pour soigner ses ampoules, certes, mais aussi ses pensées. Pour écrire une carte postale (vous vous souvenez ?), ou simplement pour raconter à Pascal ce qu’on ressent quand on voit les Aiguilles de Bavella se découper sur l’horizon.
Il n’est pas rare que certains marcheurs décident finalement de s’accorder une journée de pause ici. Une vraie pause. Une journée sans départ à l’aube. Sans chrono. Avec juste un livre, quelques échanges avec d’autres âmes en errance, un regard tourné vers la mer, et un plat du jour simple mais réconfortant.
Les alentours : randonnées et petits plaisirs cachés
Si l’envie vous prend de pousser un peu plus loin sans trop charger votre dos, les aiguilles de Bavella ne sont pas loin. Un détour (en véhicule ou en marchant selon votre forme) peut vous mener vers ce site emblématique, où la roche prend des formes de cathédrale minérale et le vent ne cesse jamais de souffler.
Par ailleurs, Cartalavonu est aussi un point de départ ou de prolongation pour plusieurs petites randonnées locales, moins connues mais tout aussi porteuses d’émotions. Jean-Marc m’a confié un itinéraire hors des cartes, jusqu’à un vieux moulin en ruine, oublié dans une vallée. Je vous laisse le soin de le découvrir… Demandez-lui simplement : « le chemin du moulin », il saura.
Quand repartir semble trop tôt
Il a fallu repartir, forcément. La route m’appelait, la montagne aussi. Mais j’ai quitté Cartalavonu à reculons. Ce gîte, c’est un peu la maison que l’on voudrait croiser plus souvent au fil des chemins : celle où l’on peut respirer pleinement, poser ses fardeaux et écouter son pas intérieur. Celle où l’on est accueilli comme un hôte, et non comme un simple client ou « randonneur de passage ».
Alors, si vous avez prévu de vous lancer sur le GR20, laissez de la place dans votre timing pour faire escale ici. Et si vous n’êtes pas randonneur du tout, mais simplement en quête d’un coin d’altitude pour vous immerger dans l’âme corse sans foule ni fiction, Cartalavonu vous accueillera tout pareil.
Après tout, dans les montagnes, il faut savoir écouter. Et parfois, c’est un gîte comme celui-là qui nous rappelle pourquoi on marche.
Bon vent, et surtout, belles rencontres.